Qu’est-ce que le bèlè ?
A la Martinique le bèlè est une pratique de musique et de danse dont les origines remontent à la période esclavagiste. La musique bèlè, de percussions et de voix, est assurée par le duo tambour – tibwa accompagné de chant en style responsorial. Les textes chantés sont toujours en langue créole de la Martinique. Le bèlè se danse par quatre couples disposés en double quadrille. Il s’établit un dialogue entre les danseurs et le tanbouyé qui joue sur son instrument des rythmes qui correspondent aux pas du danseur qui l’inspire le plus.
La première phrase chantée par le soliste est reprise en chœur par le groupe des répondè. Ils la replaceront, inchangée, entre les phrases du soliste en prenant soin de respecter le rythme imprimé par le tibwa et le tambour.
Le ti-bwa est joué par un ti-bwatè (joueur de ti-bwa) sur la partie arrière du tambour bèlè. Il entre en jeu une fois que le soliste et les répondè ont posé le chant. C’est lui qui marque le tempo et qui indique au tanbouyé bèlè la forme qui est jouée (béliya, bèlè, granbèlè, etc).
Les bèlès de la Martinique
A la Martinique, le mot bèlè recouvre plusieurs réalités. Il désigne à la fois un genre musical, un instrument de musique, un corpus de chants, trois suites de danses: le bèlè sentmari, le bèlè baspwent et le bèlè lisid. Ce terme s’utilise aussi pour désigner le type d’événement au cours duquel on danse, on chante et on joue du bèlè.
Sa présence sur les plantations de Sainte-Marie est attestée dans les sources historiques à partir des années 1830. Les éléments introduits par les ancêtres Africains esclavisés sur l’île pendant la période coloniale prédominent dans le bèlè d’aujourd’hui. On y trouve aussi, toutefois, plusieurs aspects des quadrilles et contredanses qui étaient à la mode en Europe entre 1780 et 1840. Le bèlè est une expression culturelle dans laquelle de nombreux Martiniquais du XXIe siècle se reconnaissent.
Le tambour bèlè est utilisé dans plusieurs répertoires :
- La musique de travail : fouyé tè, rédi-bwa, téraj kay, coupé kan-n, mazon-n et gran son
- Les suites bèlè (bèlè, granbèlè, béliya…) du nord et du sud de la Martinique
- Les dansé lalinklè et autrefois certains jeux dansés à la fin des veillées mortuaires
- Les luttes dansées
Chacun de ces répertoires correspond à des circonstances et à des contextes spécifiques. Dans le nord caraïbe de la Martinique, le tambour résonnait au moment de travailler ensemble des parcelles réservées à l’agriculture vivrière telles le jardin créole. On tendait par-dessus la peau du tambour bèlè une ficelle à laquelle étaient attachés des bâtonnets d’allumettes et des bouts de plumes qui servaient de timbre. On chantait le gran son en retournant à la houe la terre de son champ et en se déplaçant du bas des mornes vers la crête. Après avoir retourné la terre, on creusait les sillons, en partant cette fois de la crête vers le pied du morne au son de la mazonn.
Dans le gran son, les coups de houe étaient synchronisés par les appels des kòn lanbi (une trompe taillée dans un coquillage, le strombe géant). Quand il y avait plus d’un soliste présent, ils chantaient les strophes du gran son en alternance. La mazon-n est aussi un chant pour soliste accompagné de roulements de tambour bèlè et de hululements de kòn lanbi. Toutefois, alors que le gran son est sur rythme binaire, la mazonn est un chant sur mètre libre. Chants de commentaire social, la mazonn et le gran son véhiculaient les potins du voisinage aussi bien que des faits plus importants.
Les danses lalin klè
Au nombre de cinq, les danses lalin klè sont celles qui autrefois se donnaient très tard dans la nuit, bien après minuit, expliquent les Anciens. Elles étaient en effet destinées a des personnes qui se connaissent bien; les parents et amis proches du défunt en l’honneur de qui la veillée était organisée. Comme pour tous les éléments du système bèlè, les danses lalin klè sont marquées d’une forte influence africaine. En effet, outre la musique de tambour bèlè, tibwa et chant responsorial, cette influence se ressent dans la manière dont les corps se meuvent. Certaines de ces danses, comme le mabélo, empruntent une partie de leurs déplacements aux contredanses européennes, mais d’autres, comme par exemple le woulé mango ou le ting-bang, semblent n’avoir pas été soumises à leur influence.
Les Anciens de la région de Sainte-Marie disent souvent que le Bénézuel et le Karésé yo sont les deux danses les plus récentes. Elles seraient dues à Emile Casérus dit Ti-Emile et à Siméline Rangon, respectivement.
Aujourd’hui ces danses se voient rarement dans le contexte de la veillée mortuaire, mais elles ne sont pas oubliées pour autant. C’est par les danses lalin klè que souvent, les swaré bèlè se terminent. Leurs pas spécifiques et leur chorégraphie sont moins complexes que ceux du bèlè, mais cela permet que tous, y compris les danseurs moins expérimentés, prennent part à la fête.
Le Danmyé
Lutte dansée ramenée par les ancêtres africains esclavagés en Martinique, le danmyé oppose deux lutteurs (ou majò) qui mesurent leur force et leur agilité au son d’une musique de tambour bèlè, tibwa et chant responsorial.
Les répertoires Bèlè
Deux grands répertoires bèlè existent à la Martinique aujourd’hui. On a d’une part le bèlè lisid (bèlè du sud), connu et dansé principalement sur le territoire des Anses-d’Arlets et du Diamant et, d’autre part, le bèlè linò qui se décline en deux variantes : le bèlè Sainte Marie et le bèlè Baspointe.
La variante de Sainte-Marie est la plus connue à travers l’île et aussi celle qui a rayonné hors de l’île. La combinaison tambour bèlè / tibwa est le support indispensable à la réalisation de tous les bèlès martiniquais qu’ils soient du nord ou du sud.
Bèlè Linò 1 : Bèlè Sainte Marie
Le bèlè linò se décline en bèlè Sainte Marie et bèlè Basse Pointe. A Sainte-Marie les rythmes constitutifs de la suite bèlè sont dansés par quatre couples disposés en carré. La chorégraphie adoptée à Sainte-Marie doit beaucoup au Quadrille Français qui était à la mode dans toute l’Europe et en Martinique aussi dans les années 1830 – 40.
Dans le bèlè Sainte Marie en effet, un même groupe de huit danseurs exécute généralement plusieurs danses (ou éléments) les unes à la suite des autres avant de se faire remplacer. A la différence du Quadrille français cependant, les éléments de la suite bèlè sont conçus comme des danses séparées qu’on enchaîne les unes aux autres selon son gré et sans ordre pré-établi. Bidjin bèle, bèlè douss, bèlè piké, bèlè twapa (ou marin bèlè), bélya, granbèlè (*) chaque nom d’élément est évocateur d’un rythme et d’un corpus de pas caractéristique.
Si les déplacements sont inspirés du Quadrille Français qui faisait fureur à la mi-XIXe siècle, les mouvements du corps et les attitudes propres à la danse bèlè sont à l’évidence hérités des ancêtres Africains. De même, les danseurs évoluent au son d’une musique de tambour et de voix sans l’aide d’aucun instrument mélodique.
Bèlè Linò 2 : bèlè baspwent
Si les danses constitutives du bèlè Basse Pointe sont celles de tout bèlè linò, Basse-Pointe a préservé des pas et des déplacements qui aident à le caractériser.
Les danseurs se rangent sur deux lignes face-à-face. L’une est faite d’hommes et l’autre de femmes. Cette disposition est adoptée pour toutes les danses de la suite bèlè sauf la bidjin bèlè pour laquelle les danseurs forment un cercle où hommes et femmes alternent. Cette configuration rappelle fortement le bèlè qui se danse à Sainte-Marie.
Les pas sautés sont peu fréquents dans le bèlè Basse Pointe. Ceux qui sont typiques de ce bèlè s’appellent kozak-pa-douvan, kozak-pa-dèyè ou encore ladja–bèlè. Ces noms impliquent à chaque fois une façon particulière de lancer la jambe devant, derrière ou sur le côté lors de l’exécution des figures. Lorsqu’un de ces pas est choisi pour une figure, tous les danseurs se doivent de l’exécuter à l’exclusion de tout autre. Il est toutefois permis le personnaliser. Autre particularité de Basse-Pointe, le salut final au tanbouyé à la fin du bélya. Il est exécuté par les couples de danseurs un à la fois, au moment de la sortie de l’espace de danse.
Les différences n’affectent pas la musique cependant et comme c’est le cas pour le bèlè Sainte Marie, c’est sur le paramètre rythmique que la distinction des éléments repose. La structure des chants bèlè demeure la même pour tous les morceaux qui relèvent de ce système, en style responsorial avec un accompagnement exclusivement rythmique de tambour bèlè et tibwa.
Bèlè Lisid
Le bèlè qui se danse dans le sud de la Martinique présente des différences notables d’avec ceux du nord de l’île. Aux Anses-d’Arlets et dans la campagne du Diamant, les danseurs évoluent par couple à l’intérieur d’un espace circulaire délimité par les spectateurs et par les participants (danseurs, percussionnistes, chanteurs). Leur danse se déroule en face des tambours bèlè et du tibwa. Elle s’appuie également sur une chanson dont un soliste femme ou homme chante les couplets et la foule, le refrain. Les trois danses constitutives de ce qu’on pourrait appeler la « suite » bèlè lisid sont le granbèlè –commandé ou non– le bèlè et la calenda. Ces noms qui rappellent ceux des danses du nord, désignent cependant des rythmes, des mélodies et des mouvements du corps radicalement différents.
De même, le tambour bèlè dont on se sert dans le sud de la Martinique est en tout point semblable à celui du nord, mais il est utilisé de façon différente. En effet, la musique du bèlè lisid requiert le jeu de deux tambours bèlè simultanément ; le premier pour répéter du début à la fin du morceau une formule récurrente qu’on appelle basse et le second pour dialoguer avec le danseur et illustrer sa performance par des séquences rythmique adhoc.
Les instruments de musique bèlè
Le tambour bèlè
A la Martinique, la combinaison des rythmes du tambour bèlè et du tibwa est le principe sur lequel la musique bèlè repose. Ce tambour bèlè (qu’on appelait aussi Ka ou tambour djouba) est un membranophone de forme conique dont une extrémité est ouverte et l’autre couverte d’une peau grattée.
Le tanbouyé qui en joue le couche au sol sur le flanc et s’assied à califourchon sur la caisse de résonnance. Il se sert du bout des doigts des deux mains et accessoirement d’un de ses talons pour produire les rythmes de la danse
Le Ti-bwa
Pendant que le joueur de tambour émet des séquences rythmiques sur la membrane, un autre percussionniste se sert de deux baguettes pour frapper une cellule rythmique récurrente à l’arrière de la caisse de résonance du tambour. C’est le tibwa. Ce mot désigne en effet l’instrument: une paire de baguettes et les rythmes qu’elles permettent de produire.
En tant qu’instrument de musique, le tibwa est taillé dans du bois ligneux et dur (goyavier, tibom, caféier, etc.) que l’on fait sécher au soleil. Il est joué par un tibwatè (nom que l’on donne au percussionniste qui joue du tibwa). La cellule rythmique récurrente émise par le tibwa varie selon le genre du morceau interprété.
Lavwa
Dans le nord de la Martinique, le chant commence toujours par lavwa (le / la soliste). Il (ou elle) entonne un chant de son choix et sa première phrase, reprise par lavwa dèyè (lé répondè ou chorus) devient la réponse. Lavwa dèyè chante la réponse entre les phrases du soliste sans aucune variation, jusqu’à la fin du morceau. Après le chant et le tibwa, un tambour bèlè unique déroule avec vigueur des séquences rythmiques complexes qui établissent un dialogue avec le danseur tout en complétant la musique des voix.
Source : livre (Résidence Martinique) 2015